Comment survivre quand on est la fille de Staline? C’est sous une forme romancée que Beata de Robien a tenté de retracer la traversée mouvementée du tyran soviétique – par Yann Kerlau
Beata de Robien, sera l’invitée du déjeuner littéraire du jeudi 19 janvier 2017 au Cercle Royal Gaulois Artistique & Littéraire à Bruxelles
Article paru dans le magazine belge L’éventail du 1er décembre 2016.
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Élevée à Cracovie où elle a fait une partie de ses études universitaires, Beata de Robien démarre une brillante carrière de romancière avec Le Nain du roi de Pologne (Éd. Pion, 1994) élu en France meilleur livre historique de l’année et récompensé par le prix de l’Académie du Maine, suivi d’une biographie d’Eleanor Roosevelt (Les Passions d’une présidente, Éd. Perrin, 2000), du Roman de la Pologne (éd. du Rocher, 2007) et de Fugue polonaise (éd. Albin Michel, 2013) qui recevra le prix Culture et Bibliothèque pour tous.
Son dernier roman, intitulé La Malédiction de Svetlana (Éd. Albin Michel, 2016) pose une question simple: est-ce un plus de naître dans les allées du pouvoir? Ceux qui le penseraient vont déchanter en assi
stant à la descente aux enfers de l’héroïne, fille de Staline. Un patronyme peu facile à porter, même s’il la protège au moins jusqu’à son mariage. Derrière les murs du Kremlin, la fille du dictateur aura l’enfance et l’adolescence d’une ultraprivilégiée, adorée par un père qui n’avait d’yeux que pour elle. Dire du monde dans lequel elle évolue qu’il est fermé serait un sympathique euphémisme. Entourée de tueurs à gages, sourde aux disparitions de ses proches, Svetlana ne voit rien et ne sait rien des purges sanglantes, des déportations massives et des années d’internement de tout ennemi avéré ou potentiel du tsar rouge.
C’est en effet en wagon plombé qu’elle traverse un XXe siècle de terreur et de guerre froide: lavages de cerveaux, chantages, extorsions de fonds, assassinats en série sont le menu quotidien du maître de l’URSS et de ses complices Beria, Molotov, Boulganine et Khrouchtchev.
Sous les yeux du lecteur, l’après-Yalta se construit sur un fond d’antisémitisme haineux, de manipulations et de goulag sibérien. Un bal des maudits qui glace le sang et qu’elle quittera en 1967 en demandant l’asile politique aux États-Unis et en tentant de repartir à zéro. Un nouveau décor pour un exil qui ne tiendra pas ses promesses. La brillante vitrine du capitalisme ne serait-elle rien d’autre qu’un miroir aux alouettes? Sans un temps mort, la romancière Beata de Robien retrace avec un talent consommé le destin d’une femme entre deux rives: un passé écrasant et un avenir où sa filiation la suivra comme une pierre au cou. Bouleversant!
La Malédiction de Svetlana, par Beata de Robien, Éd. Albin Michel, 2016, 554 p.