Le Roman de la Pologne présenté dans la revue L’Europe en formation

logo revue l'Europe en formationLa revue trimestrielle L’Europe en formation traite de l’intégration européenne, des relations internationales et du fédéralisme, dans une approche transdisciplinaire liant la philosophie politique, le droit, l’économie, la sociologie et la culture. Elle consacre dans son numéro 348 – été 2008, une revue du Roman de la Pologne par Beata de Robien, Éditions du Rocher, 2007, 490 p.

Extrait de l’article de Mireille Marc Lipiansky disponible en ligne sur cairn.info

Historienne d’origine polonaise, Beata de Robien vient de publier en français une fresque historique de son pays qui mêle agréablement la « grande histoire » à la « petite histoire » les intrigues de la Cour, les mariages royaux et les naissances, ainsi que les caractéristiques essentielles de la civilisation et de la culture.

Agréablement écrit, son Roman de la Pologne est a la fois passionnant, drôle et émouvant.

I. Les tribulations d’un État à géométrie variable

La position de la Pologne au centre de l’Eur0pe, l’absence de frontières naturelles et de reliefs élevés, susceptibles d’arrêter l’avancée des troupes étrangères, la proximité d’Etats puissants, soucieux d’agrandir leur territoire, comme la Russie, la Prusse, l’Autriche et la Suède, l’ont condamnée a être victime de conquêtes et d’annexions qui, périodiquement, ont modifié sa superficie. Au moment de sa fondation, au Xe siècle, elle avait à peu près ses dimensions actuelles. Elle a subi ensuite plusieurs invasions mongoles, l’occupation lituanienne, puis celle des Chevaliers teutoniques, qui se rendent maitres du Nord du pays. Quand ce ne sont pas ses voisins qui empiètent sur son territoire, ce sont les partages effectués par les rois polonais eux mêmes, entre leurs héritiers, qui divisent le pays en duchés indépendants.

Ladislas le Bref (1306 1333) réussit à rétablir l’unité et l’indépendance de la Pologne et à la défendre contre les envahisseurs. Grâce à lui et à son fils, Casimir III le Grand (1334 1370), elle connaitra un siècle d’accalmie et deviendra la première puissance d’Eur0pe orientale. L’Europe de l’Ouest est alors confrontée à la guerre de Cent Ans, et décimée parla famine et la peste noire qui font 20 millions de morts (51).

Après le règne transitoire de Louis d »Anjou, roi de Hongrie (1370 1384), sa fille Edwige est couronnée « roi de Pologne » alors qu’elle n’a pas encore 10 ans. Elle épousera le Grand duc de Lituanie, Ladislas II Jagellon (1386-1434), mariage qui permet de réaliser l’union de la Lituanie et de la Pologne, union qui durera deux siècles. Les Jagellon régneront sur la Pologne de 1386 à 1572 ; sur la Hongrie de 1440 à 1444 et de 1490 à 1526; sur la Bohême […]

[…]

[…] exceptionnelle dans l’Europe de cette époque, déchirée par les guerres de religion. Elle aboutira à la « Paix des dissidents », promulguée par la Confédération de Varsovie en 1573.

Comme le souligne l’auteur, ce n’est qu’a partir des « partages » de la Pologne, que le problème juif commence à se poser. Jusque-là, « les juifs jouissaient d’une totale liberté de culte, gardaient leurs coutumes et leur langue. Avec les partages, ils deviennent les citoyens de trois pays différents qui les traitent plutôt mal. La Prusse les considère comme une vermine, la Russie comme des parias, l’Autriche comme une anomalie sociale qui doit ou s’assimiler, ou déguerpir. Beaucoup s’assimilent ».
Mais quand, au XXe siècle, « 600000 juifs fuyant les pogroms rouges […] rejoignent la communauté de trois millions de juifs habitant déjà la Pologne, presque 10 % de la population », en pleine crise économique, les difficultés commencent a se faire jour. Depuis la fin de l’indépendance, « la peur de la perte d’identité dans l’océan russe ou allemand contribua à l’enfermement des Polonais entre eux ». Après le krach de 1929, l’aggravation de la situation économique achève de faire oublier a la Pologne « sa longue tradition de tolérance ».

Son hostilité à l’égard des juifs, comme de toutes les minorités qui vivent sur son territoire, « n’est donc pas de nature confessionnelle ou raciale, mais économique », les Polonais supportant difficilement la concurrence des juifs dans le commerce et les professions libérales. Après la seconde guerre mondiale et malgré la tragédie de la Shoah, « l’antisémitisme sera de nouveau utilisé, avec un triste succès, par le pouvoir communiste, pour détourner la population des véritables problèmes de la société. Et aussi pour déconsidérer les Polonais aux yeux de la diaspora juive et de l’opinion publique internationale » (421-424).

Daniel Beauvois consacre également quelques pages à ce problème, tout en soulignant l’essor d’une « tendance hassidique intégriste » qui survit en Israël  et « la vitalité » de la culture Yiddish, représentée notamment par Isaac Bashevis Singer et Bruno Schulz (340). Il mentionne aussi le massacre barbare de Kielce, le 4 juillet 1946, dont furent victimes « vingt six juifs réchappés des camps de la mort »,  massacre qui incita « deux cent mille juifs qui avaient survécu a la guerre » à s’expatrier.
Il n’en resta plus que soixante mille environ (389-396.

V. Psychologie du peuple polonais

La psychologie des peuples, qui eut son heure de gloire, semble discréditée de nos jours. Et pourtant, le Portrait de l’Europe de Salvador de Madariaga (Calmann-Lévy, 1952) mérite d’être relu, notamment pour ses observations pertinentes qui facilitent la compréhension des peuples européens et de leurs littératures. B. de R. elle même nous propose quelques réflexions, susceptibles d’éclairer son lecteur sur le comportement d’un peuple, qui lui est devenu étranger, et sur son histoire. Parlant de Jan Sobieski, qui a ruiné sa santé a lutter contre
les infidèles pour répondre à la requête du pape, elle définit ainsi le rôle qu’il a joué: il « introduit dans la politique de l’Europe le premier germe de désintéressement et de charité chrétienne. Ce désintéressement a été, depuis les temps les plus reculés, le principe de la politique polonaise: idéaliste, charitable, mais peu prévoyante. Ce qui fait dire que les Polonais seraient parfaits s’ils ne l’étaient pas trop… » (188). Elle cite ensuite les témoignages d’hommes politiques appartenant aux puissances qui ont annexé la Pologne: « On peut gagner la guerre contre la Pologne, mais impossible de la dominer! » (383). Elle l’a prouvé pendant le long siècle des « partages », où elle a réussi à résister aux États qui ont tenté de l’annihiler, afin de préserver son identité; puis quand elle est tombée sous le joug des Soviétiques. Elle souligne le courage surhumain et vain dont ses compatriotes ont fait preuve lors du siège long et meurtrier de Varsovie, en 1944. Elle témoigne enfin de leur romantisme invétéré: on « garde toujours un coin pour les fleurs, car le Polonais reste un romantique, pratique le baisemain et apporte un bouquet » quand il rend visite a quelqu’un (469).

Ces remarques complètent et confirment celles de Madariaga, qui déclare que « les Polonais aiment le superflu plus que le nécessaire, le raffinement plus que le confort ». Évoquant leur sourire  inimitable, il suggère qu’il « exprime le mépris du nécessaire, de l’immédiat, de l’efficace, du relatif […], la quête du superflu, de l’inaccessible, de la plénitude, de l’absolu ; il illustre l’héroïque incapacité de ce peuple à vivre pour une patrie pour laquelle il sait mourir si superbement » (op. cit., 204-205).

Le Roman de la Pologne me parait une excellente approche de ce pays méconnu, alors que pendant des siècles il a fait partie de notre Histoire et contribué a enrichir la civilisation européenne.

Mireille Marc Lipiansky

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